Feux solsticiaux en Pyrénées

Les brandons de la Saint-Jean en Comminges et Barousse

Sujet Moeurs et coutumes, Laruns, Carnaval
Support Article html
Auteur Etnopòle occitan (CIRDOC-Billère)
Editeur CIRDOC - Institut occitan de cultura
Lieu Lescar (Pyrénées-Atlantiques)

Si le feu de la Saint-Jean semble être une pratique intemporelle et universelle (du moins en Europe), une partie des Pyrénées centrales se caractérise par un feu de la Saint-Jean particulier : contrairement à de nombreux autres lieux qui dressent un bûcher ou placent un mât central, ici un arbre (généralement un hêtre ou un sapin d’une dizaine de mètres) est coupé et son fût est fendu en longueur, avant d’y enfoncer plusieurs centaines de coins en bois qui vont permettre d'accélérer son séchage pendant quelques mois avant la Saint-Jean. Ce tronc, que l’on appelle “le brandon” ou “eth har/eth halhar” dans la dénomination gasconne, peut être écorcé ou habillé de paille, parfois couronné d’un bouquet de fleurs au sommet.

Description ethnographique

La fête se déroule traditionnellement dans la nuit du 23 au 24 juin lors de la vigile de Saint Jean : à la tombée de la nuit, le brandon/eth halhar est mis à feu par une personnalité reconnue (autorités locales ou religieuses, responsable associatif ou encore un prénommé “Jean”). Il va se consumer lentement, les flammes s’échappant par la cheminée formée par le tronc fendu. Morceau par morceau, les pales du brandon tombent : dans certains villages, ces morceaux sont investis d’une signification symbolique en étant de bon ou de mauvais augure (selon la direction de leur chute) pour les temps à venir. L’embrasement s’accompagne généralement de musique ou de danse qui participent à l’animation de la fête.

Historique de la pratique

Il s’avère difficile d’établir l’historiographie de cette pratique culturelle ancienne, de manière précise et scientifique, en l’absence de sources fiables. Il est souvent expliqué que cette fête du feu remonterait aux cultes pré-chrétiens - ou rites païens - et représenterait un culte solaire. Toutefois, il demeure difficile d’appuyer cette théorie du culte solaire par des archives historiques, notamment à l’époque “païenne”, autrement dit avant la christianisation de l’Europe. L’ethnologue Arnold Van Gennep (1873-1957) s’oppose aux schémas stéréotypés développés par les auteurs du XIXe siècle qui perdurent encore aujourd’hui, à savoir un feu de la Saint-Jean qui serait le souvenir d’un ancien culte du Soleil et aurait existé dans l’antiquité classique (Grecs et Romains), chez les Gaulois (le dieu Belen), en pays germaniques ou encore en pays baltes, slaves et balkaniques, selon ces auteurs “qui se sont souvent contentés de se copier les uns les autres” sans chercher à vérifier leurs sources sur le plan historique. Des feux cérémoniels, non liés à la fête de la Saint-Jean ou au solstice d’été, ont pu être organisés à d’autres périodes importantes de l’année dans ces diverses cultures selon Van Gennep, mais il n’existait pas réellement de divinité liée au culte solaire hormis quelques cultes marginaux : “Nulle part on ne parle de libations à un feu personnifié par le bûcher de la Saint-Jean, ni de prêtres assurant son service rituel lors du solstice d’été, ni d’adeptes à cette prétendue religion”. Il existe seulement un culte chez d’autres peuples méditerranéens tels les Assyro-Babyloniens ou les Egyptiens (avec Ra) mais le transfert culturel est douteux à opérer pour la Gaule.

L’Eglise l’aurait ensuite christianisée en plaçant un personnage majeur de son dogme catholique, Saint Jean le Baptiste, le cousin de Jésus-Christ. Cette date du 24 juin, jour de la naissance de Saint-Jean-Baptiste, fait d’ailleurs écho au 24 décembre, jour de la naissance de Jésus (selon le dogme catholique), et rythme l’année en deux périodes égales. L'Église a surtout christianisé le bûcher de la Saint-Jean (procession partant de l’église, chants liturgiques, bénédiction, etc.) et a tenté d’éliminer les autres éléments cérémoniels (couronnes, herbes, etc.).

Si les mentions restent floues durant l'Antiquité, les premiers feux solsticiaux semblent apparaître au Haut Moyen ge (le Tractacus de Jean Beleth en 1165, une mention en 1181 en Allemagne), avant d’apparaître régulièrement dans les sources dès les XVe et XVIe siècles, pour perdurer jusqu’à aujourd’hui. Régulièrement entachés de “superstitions”, les feux de la Saint-Jean sont à maintes reprises réglementés par les autorités politiques ou religieuses, encadrés, supprimés et parfois rétablis.

Dans les Pyrénées centrales, des archives attestent de la pratique du brandon au XVIIe siècle à Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées) : le Livre des comptes recense la dépense d’un “flambeau de bois appelé haille” en 1675, tandis qu’une “torche de bois de vingt pieds de hauteur et garnie d’autres matières combustibles” est mentionnée dans un Voyage philosophique aux Pyrénées publié en 1765. Trente sols sont également alloués au brandon dans les comptes du village d’Arnaud-Guilhem (Haute-Garonne) en 1758. Tandis qu’à Alzen (Ariège) en 1936, des enfants préparaient des flambeaux appelés “fajos” (des écorces de cerisier fixées à un bâton) qu’ils allumaient au feu de la Saint-Jean et allaient ensuite de hameaux en hameaux en les faisaient tournoyer dans les airs.

Évolutions et développements récents

Aujourd’hui, la part religieuse est beaucoup moins présente dans la fête même si, parfois, un prêtre bénit ou allume encore le brandon aux côtés du maire. Autrefois, des croyances populaires associaient également des vertus curatives aux plantes récoltées ou à l’eau recueillie lors de la nuit de la Saint-Jean : elles permettraient de guérir de nombreuses maladies dermatologiques ou de protéger les maisons du mauvais sort. On perçoit encore quelques bouquets accrochés aux portes des maisons ou des cendres ramassées après l’embrasement : ces objets à valeur symbolique sont censés porter bonheur et garantir la sécurité du foyer. Dans de rares endroits, les pratiques de sauter par-dessus le feu ou de se noircir le visage - et surtout celui des autres - persistent encore : autrefois chargés de portée symbolique (la fumée et les cendres comme éléments prophylactiques), ils sont souvent devenus des jeux d’enfants.

Aujourd’hui, les villages français des Pyrénées centrales (Barousse et Comminges) adaptent leur calendrier de pratique pour faire brûler le week-end suivant la Saint-Jean, tandis que d‘autres attendent leur fête patronale en juillet. En 2021, en raison des restrictions sanitaires en vigueur jusqu’au 30 juin, de nombreux brandons ont été brûlés durant plusieurs week-ends du mois de juillet, en fonction du calendrier de chaque organisateur. D’autres adaptations contemporaines, indispensables pour maintenir la pratique vivante, se perçoivent dans le déroulement de la fête : le lieu peut parfois changer (place du village ou hauteur de la ville), les femmes s’impliquent dans les comités des fêtes en charge de l’animation, les outils pour fendre le bois se modernisent, la date de l’embrasement s’adapte au travail des habitants plus disponibles le week-end qu’en semaine pour organiser cette fête, etc. Mais les fonctions principales demeurent en restant un moment de retrouvailles des communautés (réseau social, réseau familial), qui produit du lien social et une identité collective autour d’une culture commune.