Début 1900, les premiers modèles réellement utilisables par des musiciens étaient limités à une seule rangée mélodique à droite et quatre basses à gauche (Quin te va l'aulhada).
Ces précurseurs sont diatoniques, mot qui recouvre habituellement deux notions distinctes : leur gamme est limitée (en "Do", ce serait celle des touches blanches du piano) et ils sont bisonores, la même touche donnant deux notes différentes.
"son histoire officielle ne commence
qu’en mai 1829, à Vienne"
Comme cette gamme ne permet pas toujours de jouer le répertoire tel quel, les musiciens simplifient les mélodies trop complexes et leur accompagnement harmonique est minimal. D’autre part leur jeu en tiré-poussé, lié au caractère bisonore, impose une rythmique dont le caractère assez " viril " fait souffrir le soufflet en carton.
Naissance
Curieusement, cet instrument de musique, indissociable de la révolution industrielle du XIXe siècle et dernier arrivé dans les traditions musicales populaires, peut prétendre à la plus grande ancienneté puisqu’il utilise le même principe sonore que le cheng, un orgue à bouche déjà connu en Asie 3000 ans avant J.C.
Mais son histoire officielle ne commence qu’en mai 1829, à Vienne, lorsqu’un facteur d’orgue, Cyrill Demian, dépose un brevet pour un instrument à anche libre possédant un soufflet et un clavier dont chaque touche produit un accord. Ainsi naît l’Accordion, père des futurs accordéons diatoniques et chromatiques. Un mois plus tard, un anglais, Charles Wheatstone, dépose le brevet de son Symphonium à soufflet, ancêtre du concertina.
Du salon au bal
C’est en 1832, qu’ouvre à Paris un atelier où A. Reisner fabrique et améliore cette invention. Au cours du XIXe siècle ses capacités musicales et son esthétique évoluent, l’accordéon romantique devient une œuvre d’art en bois précieux ciselé de nacre, aux touches en ivoire et aux soufflets colorés... Il devient l’instrument des Salons de la noblesse et de la bourgeoisie sur lequel on interprète, entre autre, Mozart et Rossini. Le roi Louis-Philippe lui-même achète un accordéon.
"Le roi Louis-Philippe lui-même
achète un accordéon"
Fin XIXe, cet instrument d’intérieur, précieux et assez fragile sur lequel les musiciens jouent des valses célèbres ou des airs d'opéra, change à une vitesse étonnante et devient à Paris l’instrument à la mode dans les salles de danse, les bals populaires, les rues, les cafés…
Les passionnés se regroupent même au sein de sociétés musicales. Cet extraordinaire engouement parisien ne tarde pas à gagner la campagne et l’accordéon se diffuse en France, bien avant la Guerre de 14-18. De nombreuses cartes postales témoignent de sa présence en Vallée d’Ossau vers 1900 où il accompagne le violon et le couple flûtes / tambourin. (Au beth som de l'Estivèra)
Une production industrielle
Instrument de musique fragile, mélodiquement limité, à la cadence un peu "raide"… cet accordéon a parfois du mal à séduire. "Musique de porcs per ha dansa les truyes !" disait à la fin du XIXe siècle un vieux berger landais cité par F. Arnaudin. Lui-même lui reprochait de remplacer progressivement les instruments indigènes dont l’usage "…persiste d'ailleurs plus ou moins dans quelques localités où n'a pas encore pénétré l'affligeant, l'odieux, le stupide accordéon, […], cette atroce machine nouvellement importée… et qu'on entend maintenant geindre au seuil de chaque maison et dans tous les bals…". Nous voilà bien loin des Salons parisiens !
Un tel accueil aurait pu être fatal, d’autant que l’instrument reste très incomplet et surtout peu solide, mais les facteurs d’accordéons savent l’adapter aux besoins des musiciens et aux modes nouvelles.
"Dedenis de Brive-la-Gaillarde
puis Maugein de Tulle"
Son mode de fonctionnement, très mécanique, facilite la mise en place d’une production industrielle qui se développe au cours du XIXe siècle, et quelques grands pays européens comme la France, l’Allemagne, l’Italie ou la Suisse se partagent le marché.
Vers 1900, les fabricants proposent sur catalogue une gamme impressionnante d’instruments qui va du jouet pour enfant au modèle professionnel haut de gamme et dont le prix raisonnable, du fait de leur fabrication industrielle en série, leur permet de concurrencer facilement les instruments artisanaux. Ainsi, un accordéon diatonique allemand 1er choix, une rangée-8 touches, coûte entre 8 et 10 F alors qu’une boha vaut, en moyenne 15 F et une vielle Pimpard plate 70 F. Rapidement ce commerce est repris par des fabricants français, Dedenis de Brive-la-Gaillarde puis Maugein de Tulle, dont les accordéons deviennent incontournables au cours de l’entre-deux guerres. Solides, de bonne qualité, ils bénéficient en outre d’un système très performant de vente par correspondance et de distribution par la poste ou les chemins de fer.
De plus en plus solide, toujours accordé, puissant, l’accordéon est facile à transporter et à acheter, l’adjonction d’une seconde rangée mélodique permet un jeu " croisé " plus fluide qui traduit mieux la cadence des danses et ses huit basses améliorent ses capacités harmoniques (Hilhas n'aimis pas tan los òmis). L’évolution des modes et du répertoire au cours du temps ne pose aucun problème à un instrument dont l’organologie suit ces changements. Ainsi il s’enrichit d’une troisième rangée mélodique, les basses se multiplient, passant de huit à douze… (Congò)
Au service de la danse
Il ne serait pas juste de limiter le succès de l’accordéon à sa seule capacité à évoluer. Sous sa forme diatonique à deux rangées, 8 ou 12 basses, l’accordéon est devenu une formidable machine à faire danser capable de reproduire parfaitement toutes les cadences, de la bourrée (Borrèia) , (Borrèia) au rondeau (Las coconairas), du congo (Congò) aux sauts béarnais (Gavòta), sans oublier le Pays Basque où les danseurs virevoltent au son du trikitixa.
"c’est l’arrivée dans les bals
de l’accordéon chromatique"
En outre la sonorité ronde de l’accordéon se marie bien avec tous les instruments, traditionnels ou plus récents, qui s’associent à lui : chabrette en Périgord, boha dans les Landes, flûtes et tambourins (Lo branlo d'Aussau) en Béarn, un peu partout avec la vielle (Ai vi la bergièra) ou le violon (L'aiga de ròsa) et, plus tard, la clarinette, le saxophone...
Durant l’entre-deux-guerres les danses traditionnelles deviennent minoritaires dans le répertoire des bals et cette rupture aide les musiciens à franchir un pas décisif. Au traditionnel diatonique ils préfèrent maintenant un accordéon aux touches unisonores (tiré-poussé : même note), aux multiples basses et dont les touches mélodiques jouent toutes les notes de la gamme, c’est l’arrivée dans les bals de l’accordéon chromatique.
L'accordéon chromatique
Ce choix n’est pas sans inconvénient, le "chromatique", beaucoup plus lourd et encombrant que le petit diatonique, a un jeu trop fluide qui marque mal la "cadence" et cette nécessité rythmique pousse à la formation de groupes. Ainsi, dans les années 1930, le joueur d’accordéon chromatique s’adjoint un batteur dont la grosse caisse, le "jazz", est complétée d’une cymbale et d’une caisse-claire.
"où ils jouent autant paso-dobles, marches, valses
que rondeaux ou sauts béarnais…"
C’est l’éclosion de petits groupes dont le nom, fièrement dessiné sur la peau de la grosse caisse, comporte invariablement le mot " jazz". Grosse caisse et accordéon chromatique figurent d’ailleurs en bonne place sur toutes les photos de mariages ou de bal de l’époque où ils jouent autant paso-dobles, marches, valses que rondeaux ou sauts béarnais… suivant les régions. Symbole de modernité, l’accordéon intervient désormais dans toutes les fêtes, du plus modeste des mariages aux grands bals du 14 juillet, et même dans les spectacles des groupes folkloriques !
Variété de choix, finition industrielle, prix concurrentiel, sans oublier l’évolution du répertoire renforcé par un effet de mode, l’accordéon, instrument multiforme, séduit de plus en plus de musiciens et remplace progressivement les instruments traditionnels. Ce phénomène musical, continu au cours de la première moitié du XXe siècle, dépasse largement le seul cadre aquitain.