Histoire
L’histoire communément admise de ce curieux instrument commence au Moyen-âge, à l’aube du XIIème siècle, alors que les vièles à archet soutenaient l’organum des chants d’une note tenue.
Le mouvement alternatif de l’archet sur les cordes induisant un rythme inopportun, il fut remplacé par une roue, sorte d’archet sans fin. Complété par un système de touche à tirettes, l’instrument prit le nom d’organistrum, dont les représentations ornent divers manuscrits et des édifices religieux du XIIème siècle (Nôtre-Dame de Paris, Santo Domingo de Soria, Santo Domingo de Compostela…). Elles le montrent manipulé par deux musiciens, l’un tournant la manivelle pendant que l’autre tire des poignées pour changer la note d’accompagnement.
"L’organistrum se transforme ainsi
en symphonia puis en sifonie, chiffonie…"
Durant quelques siècles l’instrument évolue, se raccourcit, le clavier venant se poser sur la caisse de résonance. L’organistrum se transforme ainsi en symphonia puis en sifonie, chiffonie… Vers le XIVème siècle la chiffonie achève sa métamorphose en empruntant le chevalet mobile de la trompette marine (instrument à corde frottée). Placé près de la roue, sous une corde appelée trompette, ce petit chevalet, le chien, donne à l’instrument d’étonnantes possibilités rythmiques plus propices à la danse qu’à la musique sacrée. La vielle à roue quitte alors définitivement les églises pour devenir l’un des instruments majeurs de la musique européenne, largement utilisé dans toutes les couches de la société, des bas quartiers à la cour des plus grand Rois.
Un instrument voyageur
Dans sa version "noble", l’instrument souvent très richement décoré est fabriqué par les luthiers et, selon que l’élément constitutif de leur caisse de résonance est une guitare ou un luth, la vielle sera dite plate ou bateau. Les vielles bateau sont en général plus grosses, plus puissantes, esthétiquement plus valorisantes, mais aussi plus chères !
Tout naturellement la vielle à roue, lointaine descendante de la symphonie et véritable instrument orchestre, deviendra l’un des acteurs essentiels des fêtes traditionnelles. Ainsi, du début du XIXème au milieu du XXème siècle, sa présence et sa pratique sont largement attestées en Aquitaine, du haut de la Chalosse au Périgord, où elle prend divers noms comme sonsaina, somsaina, sonsèna, zonzèina, shonshaina, resseguet, vièla, viola… Par contre, à ces mêmes époques, elle semble avoir été absente de la partie Sud Gascogne, en particulier du Béarn.
La fabrication de cet instrument complexe dépasse le cadre d’un petit artisanat local. D’après Félix Arnaudin, collecteur landais de la fin du XIXème siècle, la vielle serait venue du Centre France avec les scieurs de long du Limousin, de la Marche, et d’Auvergne. Mais cette hypothèse semble trop réductrice, perpétuant ici le mythe de " l’Auvergnat joueur de vielle ". En fait ces bûcherons venaient se louer dans les Landes et portaient avec eux divers objets, dont des vielles, qu’ils revendaient localement. Mais, comparé à une vente par correspondance largement répandue, ce colportage opportuniste est vraisemblablement marginal. Ainsi, dès le début du XIXème siècle et grâce au développement du réseau ferroviaire français, la majeure partie des instruments des Landes et de Dordogne provenait de Jenzat, petite ville d’Auvergne qui comptait de très nombreux ateliers semi industriels de fabrication, ou parfois de Mirecourt dans les Vosges, ville célèbre pour ses luthiers. Comme d’autres productions manufacturées, les facteurs de vielle faisaient connaître leur production par l’intermédiaire de revues ou de catalogues illustrés, très bien conçus, et expédiaient leurs instruments dans toute la France. Un aubergiste vielleux de Retjons (Landes) s’était d’ailleurs spécialisé dans l’achat et la revente de vielles Pimpard, ce qui explique l’extraordinaire densité de vielleux dans ce village de la Petite Lande et dans les villages à l’entour.
Landes, Gironde et Dordogne
La plupart des vielles utilisées dans les Landes sont plates, bien moins chères que le modèle bateau (Anem Joana). L’écart de prix suffit à expliquer ce choix car, pour des métayers landais, cet achat représentait un fort investissement, pour un gain assez aléatoire. Mais son prix, son esthétique imposante et la difficulté de son jeu en faisaient un instrument respecté, d’où un statut valorisé pour le musicien qui pouvait espérer en tirer quelques profits. Il commençait souvent sa carrière avec une vielle médiocre qu’il troquait ou vendait ensuite pour acheter des instruments de meilleure qualité. Les moins argentés n’hésitaient pas à fabriquer leur instrument dont quelques exemplaires rustiques ont été retrouvé.
La plupart des vielles utilisées
dans les Landes sont plates"
Les vielleux landais s’accordaient en "Do", (La nosta gata) c’est à dire les chanterelles en sol et les bourdons en do, notamment la corde du "chien", joliment appelée "la cigale". Mais en réalité cet accord était souvent globalement baissé d’un ton, sinon plus, afin d’économiser les cordes, suivant en cela la pratique des violoneux. (Congò)
Pour la partie gasconne, la vielle à roue semble avoir eu du mal à se faire une place entre le violon, la boha et l’accordéon diatonique, qui y arrive dès la fin du XIXème siècle. Ainsi, vers la Haute Lande, les témoins interrogés par Félix Arnaudin en font un instrument de mendiants "elle n’est pas bonne pour la danse" ou "elle traîne, elle n’explique pas les pas" et lui-même écrit "… Ça et là, accidentellement, geignait aussi la vielle, […], assez peu prisée, en somme, en raison de l'aigreur de son timbre et de ses sons mal articulés…" Dans les années 1950, Gabriel Cabannes, écrivain de la Petite Lande, décrit un instrument dont les sons ont "… quelque analogie avec ceux de la cornemuse dont elle avait le ton nasillard…". Pourtant à cette époque les vielles à roue sont largement présentes dans la Petite Lande et servent à animer fêtes, bals et mariages vers Labrit, Le Sen, Lencouacq, Saint-Gor ou Retjons qui a compté jusqu'à sept vielleux simultanément en activité ! D’ailleurs une dizaine de vielleux de cette région feront partie des danseurs et musiciens du groupe de " folklore de Brocas " pour représenter les Landes à l’Exposition Universelle de Paris en 1937.
"la vielle à roue devient à partir de cette époque
l’instrument emblématique du Périgord"
En Dordogne, l'instrument utilisé tant sous sa forme plate que bateau, connaît une histoire singulière grâce aux concours de vielles et chabrettes organisés dés le début du XXèmesiècle, dans la dynamique du mouvement félibréen, mouvement de renaissance de la langue et la culture d’oc. Ces concours, s’inspirant du système mis en place par les sociétés musicales orphéoniques, contribuent en effet à développer la virtuosité des musiciens et font de la vielle un instrument respecté. Largement valorisée et popularisée par ces pratiques, la vielle à roue devient à partir de cette époque l’instrument emblématique du Périgord.
Vielle à bateau "artistique"
Catalogue de la fabrique d'instruments de musique Pimpard-Cousin Fils, à Jenzat (Allier). XIXème siècle.